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Pr Jean-Emmanuel Bibault: « Il est essentiel que les médecins s’approprient l’IA »


Rédigé par Aurélie Pasquelin le Mercredi 9 Juillet 2025 à 11:51 | Lu 62 fois


Médecin chercheur en oncologie et titulaire d’un doctorat en informatique biomédicale, le Professeur Jean-Emmanuel Bibault explore depuis plusieurs années l’intégration des technologies d’intelligence artificielle (IA) dans les pratiques cliniques. Un domaine en pleine expansion, qui devrait transformer en profondeur l’ensemble des activités hospitalières. Rencontre.



Pour commencer, pourriez-vous revenir sur votre parcours ?  

Pr Jean-Emmanuel Bibault : Après une première thèse de médecine spécialisée en cancérologie, j’ai entrepris, entre 2015 et 2018, une seconde thèse en informatique biomédicale, avec un intérêt particulier pour l’intelligence artificielle. En 2019, j’ai poursuivi par un postdoctorat au sein du laboratoire d’intelligence artificielle en médecine de l’Université de Stanford, aux États-Unis, où j’ai continué à explorer les applications de l’IA dans le domaine médical. Nommé professeur titulaire en radiothérapie-oncologie à l’Université de Paris - Hôpital européen Georges Pompidou en 2021, je partage aujourd’hui mon activité entre la pratique clinique en cancérologie et la recherche. Je travaille notamment sur la modélisation pronostique, c’est-à-dire l’utilisation de l’IA pour prédire les chances de guérison ou les risques de décès liés à un cancer. 

Quelles avancées de l’IA en santé peut-on attendre dans les prochaines années ?  

Elles seront nombreuses. Aujourd’hui bien implantée, notamment en imagerie médicale, l’IA va continuer de se développer à travers de nouveaux outils, comme les modèles prédictifs ou les systèmes d’analyse de texte basés sur les LLM [Large Language Models, NDLR]. Ces technologies permettent, par exemple, de générer automatiquement des comptes rendus médicaux, de mieux surveiller les symptômes ou effets secondaires des patients pendant leur traitement, et d’apporter une assistance médicale disponible 24 heures sur 24. À plus long terme, l’IA pourrait devenir un véritable soutien à la décision médicale, en aidant à traiter et à analyser des volumes de données complexes pour affiner les stratégies thérapeutiques. 

Quels sont les principaux enjeux liés à l’utilisation de l’IA en santé ? 

Le premier enjeu est celui de l’équité d’accès. Il est essentiel que l’IA soit déployée de manière homogène sur l’ensemble du territoire afin de garantir une égalité des soins. Mais d’autres défis se posent également : la nécessité de former les médecins dès les premières années d’études, la validation scientifique rigoureuse des outils pour rassurer et informer le grand public, et enfin l’élaboration d’un cadre réglementaire européen et français suffisamment souple pour permettre l’émergence de solutions d’IA en Europe, sans freiner l’innovation. 

L’essor de l’IA modifiera-t-il les organisations hospitalières ? 

Très probablement. De la même manière qu’il existe aujourd’hui des départements d’ingénierie pour contrôler les IRM ou les scanners, nous verrons apparaître des départements dédiés à la validation et au suivi des algorithmes d’IA. Cela impliquera la création de nouveaux métiers, de nouvelles structures, et une réorganisation des soins pour assurer leur qualité via l’IA, et aussi vis-à-vis de l’IA.

Est-il pertinent de développer davantage de profils alliant compétences médicales et informatiques, comme le vôtre ? 

Oui, car disposer de cette double compétence permet d’être une passerelle, de faire le lien entre les ingénieurs, les chercheurs et les médecins. Cela dit, si j’encourage ceux qui le souhaitent à se lancer dans ce double cursus, je ne pense pas qu’il soit nécessaire que tous les médecins sachent coder. Il est en revanche indispensable qu’ils soient formés dès leurs premières années d’études pour comprendre les grands principes de l’IA et pouvoir par la suite mieux appréhender les systèmes experts, à l’image de ce que les étudiants en médecine apprennent aujourd’hui sur la biostatistique, le fonctionnement des dispositifs médicaux classiques – scanners et IRM, notamment – ou les médicaments. 

Faut-il également former les personnels paramédicaux ? 

Absolument. Les personnels paramédicaux, eux aussi, utiliseront de plus en plus ces technologies. Des pompes à insulines intelligentes, qui injectent précisément la bonne quantité de produit, sont par exemple déjà utilisées, et nécessitent une programmation spécifique par les infirmières. Il est donc crucial de les former non seulement pendant leur cursus initial, mais aussi tout au long de leur carrière via la formation continue, pour accompagner l’évolution rapide de ces outils. 

Comment garantir que l’humain reste au centre des décisions médicales face aux progrès de l’IA ?

C’est une question complexe. Certaines études semblent montrer que, sur certaines tâches, l’IA se « débrouille mieux » seule. Mais cela ne signifie pas qu’elle doive se substituer aux médecins. Il est essentiel que ces derniers s’approprient ces outils pour mieux les intégrer à leurs pratiques, dans le respect du serment d’Hippocrate. Et cela ouvrirait peut-être la voie vers une médecine « meilleure », dans le sens où les médecins pourraient se concentrer davantage sur l’humain, sur l’écoute, sur l’empathie. Ce sont toutefois des enjeux dont nous devons nous emparer dès à présent, car les progrès de l’IA sont exponentiels : des systèmes toujours plus puissants sortent chaque semaine. L’accélération est telle que, d’ici 2026 ou 2027, on peut imaginer que certains patients, notamment aux États-Unis, refusent les prises en charge n’incluant pas l’IA.

Ces derniers mois, l’IA a occupé une place centrale dans l’actualité française, Emmanuel Macron annonçant même 109 milliards d’euros d’investissements privés. Quel est votre regard sur cet élan ?

La dynamique est très positive. Le contexte français est favorable au développement de l’IA en santé, notamment grâce aux initiatives publiques comme celles portées par l’Agence de l’innovation en santé (AIS). Cependant, il existe encore des freins réglementaires : le marquage CE, le RGPD [Règlement général sur la protection des données, NDLR] et bientôt l’AI Act européen. La régulation est indispensable, bien sûr, mais elle doit s’appuyer davantage sur la science que sur des normes excessives, pour éviter de ralentir l’innovation et de devenir dépendants de solutions développées ailleurs.

> Article paru dans Hospitalia #69, édition de mai 2025, à lire ici  
 






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